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jeudi 16 février 2012

"Au delà", par les ballets Cde la B

Qu'y a-t-il après la vie ? La nouvelle création proposée par  Koen Augustijnen et les Ballets C de la B, présentée cette semaine au KVS de Bruxelles, explore avec douceur cette question traumatisante.



L'au delà selon Koen Augustijnen,  c'est "après l'arc-en-ciel", "over the rainbow". Le spectacle commence par une vidéo volontairement maladroite qui rend compte d'une expérience d'extase quasi-nirvanesque, associée au phénomène météorologique. Cet arc est une limite spatiale qui, matérialisée par une colonne verticale de fleurs colorées, revient ensuite comme unique élément de décor, engloutie par la terre à ses extrémités, dont les six personnages vont s'extraire, comme s'ils sortaient véritablement de la terre au moment de leur résurrection.

L'au delà selon Koen Augustijnen, ce n'est pas le monde éthéré, vaporeux, désincarné des âmes sans corps, mais bien un monde physique, sensoriel et coloré.  Les six êtres qui ont " accompli le grand voyage" sont incarnés : essoufflés, troublés,gênés, il semblent parfois souffrir, parfois au contraire habiter pleinement leurs corps, pour finir par trouver progressivement, comme à tâtons, une harmonie nouvelle.

L'au delà selon Koen Augustijnen semble être caractérisé avant tout par l'absence du devenir et l'impossibilité de modifier ce que l'on a été. Dans cette perspective "existentialiste" - un des danseurs fait une référence explicite à Huis-clos -, des personnages prennent tour à tour la parole pour rapporter des fragments de leurs vies, évoquer la mort de leurs proches ou tout simplement dire ce qu'ils ressentent.

Le spectacle semble buter sans cesse sur une barrière difficile à franchir, un mur insoluble. Les personnages ont accompli un voyage, mais ils ne sont pas encore arrivés. Plus que la mort finalement, c'est la question du passage qui est abordée, et à travers elle, celle du devenir, du vieillissement, de l'impossibilité d'une permanence. 

"L'au-delà" a tout du sujet parfait pour une création chorégraphique. La danse en effet semble à même de rendre compte d'un mouvement qui n'est plus en direction d'une action, d'une histoire, mais qui ne va nulle part. Elle permet d'installer sur scène une réalité autre qui fait fusionner le temps et l'espace.
 
Au delà,  dont la première a eu lieu le 1er février dernier à Guimaraes (Portugal), est actuellement présenté en Belgique, et sera ensuite dansé sur plusieurs scènes européennes.C'est un travail abouti, sur un sujet métaphysique, avec des interprètes excellents. Nul doute que l’œuvre aura le succès qu'elle mérite. 

Pour voir le calendrier de la tournée, cliquer ici

mardi 7 février 2012

Valse des flocons de neige

 
Une petite valse de saison...

La "Valse des flocons de neige", du ballet Casse-noisette*, est un des moments les plus célèbres du ballet de Mairus Petipa,  C'est aussi le "passage blanc" du ballet, qui peut être rattaché assez directement à la tradition du ballet romantique. Il marque la transition de la réalité au songe : un soir de Noël, la petite Clara (Marie dans certaines versions) voit le casse-noisette qu'elle vient de recevoir en cadeau de la part de son parrain Drosselmeyer se transformer en prince et la conduire dans le royaume enchanté de Confituremburg. 

La "Valse des flocons de neige" marque la fin de l'acte II, donc la fin du monde "réel" et le début de la féerie.

*ici dans une version du  Kirov-Marinski (Saint-Petersbourg).


dimanche 5 février 2012

Argument de "La Bayadère"

Argument de Marius Petipa et Sergueï Khoudekov, 1877
Acte I
Premier tableau- Dans la forêt sacrée, à l'extérieur d'un temple indien

Un noble guerrier, Solor, veut offrir au rajah ka dépouille d'un tigre et envoie ses amis à la chasse, tandis qu'il reste près du temple pour essayer de rencontrer en secret sa bien-aimée Nikiya, l'une des bayadères, danseuses qui gardent le feu sacré.

Le Grand Brahmane avoue à Nikya qu'il éprouve de l'amour pour elle. Choquée de cette déclaration, la bayadère lui rappelle qu'il est un prêtre et un haut dignitaire. Elle le repousse.

Nikya, en donnant à boire au fakir, apprend que Solor n'est pas loin, et qu'une fois la cérémonie terminée, il viendra la retrouver.

Solor fait le serment sur la flamme sacrée qu'il aimera toujours Nikya;

Le Grand Brahame les surprend et en conçoit de la jalousie.

Le fakir prévient Nikya et Solor de la présence du prêtre. Ils se séparent.

La Grand Brahame jure de se venger.

Second tableau - Dans le palais du Rajah


Le Rajah de Golconde, au cours d'une fête,  offre la main de sa fille Gamzatti à Solor. Celui-ci, tenu par son serment fait à Nikiya, ne veut pas accepter, mais il est obligé d'obéir au Rajah.

Le Rajah a convié les kshatratriyas, amis de Solor, et invite la bayadère Nikiya à se produire pour bénir les fiançailles. Solor se dissimule pour ne pas être vu de Nikiya. 

Le Grand Brahmane vient trouver le Rajah pour lui révéler les relations secrètes entre Solor et la bayadère Nikiya. Furieux de voir ses projets contrariés, le Rajah décide de faire disparaître la bayadère. Le Grand Brahmane, qui souhaitait nuire à son rival, n'avait pas prévu ce coup funeste qui retombe sur Nikiya.

Gamzatti, surprenant cette conversation, fait venir Nikiya pour lui annoncer ses fiançailles et pour lui monter le portrait de son futur époux. Nikiya refuse de croire Solor parjure. Les deux rivales se querellent. Gamzatti va même jusqu'à offrir des bijoux à Nikiya pour qu'elle renonce à Solor.  Nikiya menace Gamzatti d'un poignard mais une servante retient son bras.

Gamzatti songe à se débarrasser de la bayadère insolente.

Acte II 

Les fiançailles de Gamzatti et Solor


Le Rajah a convié son peuple à se réjouir pour les fiançaille de sa fille : les danses se succèdent.
Pendant la fête, Nikiya est amenée à danser devant les invités. Aiya, la servante de Gamzatti, présente à la bayadère une corbeille de fleurs. Elle cachait un serpent qui pique mortellement Nikiya.
 Le Grand Brahmane intervient pour offrir à Nikiya un contre-poison, si elle accepte d'être à lui. Nikiya -voyant Gamzatti retenir Solor - se laisse mourir, en appelant la colère des dieux sur les responsables de son trépas.



Acte III

Premier tableau : la chambre de Solor

Solor, désespéré par la mort de Nikiya, Solorse réfugie dans les songes que lui procure l'opium.

Deuxième tableau : le Royaume des Ombres

Solor voit -longue procession hypnotique - les fantômes des bayadères mortes lui apparaître : parmi elles, Nikiya, qui lui pardonne.
Et dans ce rêve, les voilà à nouveau réunis.


samedi 4 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (V)

L’œuvre et son évolution : du contrôle strict à la création renouvelée

La nécessité d’une évolution du patrimoine chorégraphique

Cette question des droits de représentation a pour enjeu celle de l’évolution de l’œuvre, liée à la multiplicité possible de ses interprétations (au sens large du terme).
 En effet, il est assez habituel que la création chorégraphique procède par strates, tant du point de vue d’un style que d’une œuvre : on crée sa propre chorégraphie sur un canevas existant, ou « dans le style » d’un auteur. Certes, il en est de mêmes pour les autres arts, mais la danse, notamment en ce qui concerne les œuvres du répertoire classique, procède tout particulièrement par emprunts, ajouts, marques de la « patte » d’un chorégraphe sur une œuvre déjà existante. C’est un art où la notion d’un patrimoine commun, mouvant et évolutif apparaît tout particulièrement.


                                                                                                         
Partimoine commun et propriété : points de vues de danseurs

Maria Clara Villa-Lobos, chorégraphe-interprète:
« J’ai du mal à concevoir que l’on puisse revendiquer un droit de propriété par rapport à des mouvements, à une chorégraphie. C’est beaucoup moins concret qu’un texte ou une musique. L’apprentissage de la danse est déjà une question de copier/coller. La copie, le mimétisme sont à la base même du vocabulaire de la danse. Je me vois donc difficilement réclamer la maternité de tels ou tels mouvements. »

Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète: « Les choses et les idées circulent tellement qu’il me paraît difficile de dire: “Ça, c’est  à moi”. Qui est à la source de quelle idée? Qui copie qui copie?  La création, quelque part, ce n’est que cela: reprendre les inventions des autres, essayer de les retravailler et de les emmener ailleurs. »
                                                                                                                                                    
Le droit moral, obstacle à l’évolution ?

Les juges reconnaissent à l’auteur le droit d’interdire la représentation de son œuvre, si la représentation porte atteinte au droit moral de l’œuvre : ainsi, en matière chorégraphique, une jurisprudence de fait état de l’interdiction de la reprise d’une œuvre parce que l’interprète en a modifié un pas :

 « Attendu que, ce faisant, au risque de créer une confusion dans l’esprit des spectateurs une confusion entre l’œuvre annoncée et le pas différent introduit par elle, la demoiselle Soutzo a porté atteinte au droit moral de la demanderesse, l’auteur d’un ballet comme celui d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale ayant le droit absolu de s’opposer à toute altération, correction ou addition,  si minime qu’elle soit, susceptible de dénaturer sa pensée  ».

On pourrait donc craindre à première vue que le droit moral soit particulièrement inadapté à l’évolution du patrimoine chorégraphique.
Cependant, on constate que généralement, pour la reprise d’œuvres déjà anciennes, notamment dont les droits patrimoniaux sont éteints,   les tribunaux ont une interprétation du respect du droit moral de l’œuvre favorable à la création nouvelle, qu’il s’agisse de théâtre, d’opéra ou de danse, afin de permettre des mises en scènes qui renouvellent la lecture d’une œuvre.

Les problèmes posés par le copyright

Or, si la loi française facilite ainsi la reprise d’œuvres anciennes, il n’en est pas de même partout : ainsi, aux Etats-Unis, la politique de « licences » est confiée à des organismes privés, qui gèrent différemment leur politiques de cessions de droits de représentation.

Celles-ci effectuent généralement  contrôle strict de la représentation de l’œuvre chorégraphique.

Le Balanchine Trust, par exemple,  est une organisation créée en 1987 par les héritiers du célèbre  chorégraphe américain George Balanchine (décédé en 1983).  Elle a fait de « Balanchine » une marque déposée. Elle gère les droits de représentation de l’œuvre du chorégraphe à travers le monde, qu’elle n’accorde qu’aux compagnies les plus prestigieuses. Il est impossible d’acquérir les droits de représentation sur une longue durée : chaque série de représentations doit être renégociée.  Surtout, chaque représentation occasionne la délégation d’une équipe de membres de la fondation qui a pour mission de surveiller la mise en scène, les lumières et les décors, chaque fois qu’une chorégraphie de Balanchine est programmée : elle a donc une vocation que l’on qualifierait en France de « morale » (respect de l’intégrité de l’œuvre) et elles perçoit également les droits patrimoniaux. Cependant, il faut souligner que le caractère « moral » du droit que les ayants droits s’arrogent est tout relatif car ils vont à l’encontre de la volonté du chorégraphe, qui déclarait de son vivant : "Quand je ne serai plus là, tout doit disparaître ».
Autre exemple, La Cunningham Dance Foundation, qui cède les droits de représentation sous forme de « choregraphy licences » à la durée limitée (en cela très similaires au droit français), soumet son autorisation à des conditions précises : apprentissage ou approfondissement de la technique Cunningham, transmission par un collaborateur de Merce Cunningham, obligation de montrer l’œuvre pour la faire « valider » avant la première représentation.

                                                                                                                                          
Le cas du Palais de Cristal de G. Balanchine

Le contrôle  du Balanchine Trust va très loin, ainsi qu’on peut le voir dans le cas du « Palais de Cristal » : ce ballet a été  monté spécialement par G. Balanchine  pour le Ballet de l’Opéra de Paris en 1947, dans des décors et costumes de Léonor Fini, très colorés. En 1948, le chorégraphe monte aux Etats-Unis la même chorégraphie, cette fois présentée sans décor ni costumes, en simples maillots blancs et noirs, sous le titre de Symphony in C.
 C’est actuellement la seule version autorisée par le George Balanchine Trust de New York, qui n’a pas accordé  à l’Opéra de Paris l’autorisation de remonter Le Palais de Cristal dans sa  première version française.
                                                                                                                                
On voit à travers les exemples cités que les deux fondations n’envisagent pas de la même manière leur politique de licence. Dans le cas du Balanchine Trust, l’œuvre chorégraphique est conçue comme figée dans le temps : il est impossible de ne pas la représenter autrement que comme exacte réplique de la version enregistrée par le Balanchine Trust. Le contrôle du Balanchine Trust freine donc toute possibilité d’évolution, reprise, transformation des œuvres de Balanchine. 
                                                                                                                                  
                Fractions  de Merce Cunningham
Une chorégraphe contemporaine française, Julia Cima, souhaitait monter une œuvre intitulée « Visitations », sous forme d’hommage à plusieurs chorégraphes dont la technique a marqué l’histoire de la danse. D’un point de vue juridique, “Visitations” était une œuvre dérivée (réalisée à partir d’œuvre préexistantes), à caractère composite (qui incorporait différentes œuvres). Elle souhaitait pour cela reprendre un solo extrait de Fractions, œuvre  du chorégraphe  Merce Cunningham. La Cunninghmam Dance Foundation lui a accordé une « chorégraphy licence » d’une durée de trois ans, à condition qu’elle accepte que la technique lui soit transmise par une proche collaboratrice du «maître», Jeannie Steele, et que son travail soit a posteriori validé  par Merce Cunningham lui-même.
                                                                                                                                 

A l’inverse, on voit donc que même si l’appropriation de l’œuvre de Merce Cunningham semble très strictement encadrée, réglementée, elle peut se faire dans un cadre évolutif, en étant par exemple incorporée dans une œuvre composite. La Cunningham Dance Foundation offre un exemple de gestion du rapport de l’auteur à l’œuvre qui permet sa transmission, donc sa perpétuation et son évolution.

vendredi 3 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (IV)

La représentation de l’œuvre chorégraphique et la notion de répertoire

Pour créer une œuvre chorégraphique, il faut  s’assurer de la collaboration d’un chorégraphe, non pas seulement  sur le moment, par un contrat de travail (ce n’est pas parce qu’il y a  contrat de travail, qu’il y a droits d’exploitation de ce travail), mais aussi par un contrat de cession de droits de représentation qui peut être envisagé sur une période plus longue que la simple collaboration et qui autorisera l’entrepreneur de spectacles à exploiter la création de l’auteur.

Une compagnie qui souhaite représenter une œuvre doit obtenir l’autorisation de tous les auteurs de l’oeuvre. Cette demande peut être acceptée en exclusivité. .
La demande est transmise à l’auteur, accompagnée d’une proposition de conditions financières de perception des droits ; l’auteur décide, ensuite, de donner son autorisation ou non. Si la réponse est positive, un contrat de représentation est conclu, si elle est négative une interdiction d’exploiter cette oeuvre sera adressée à la compagnie.
Ce point semble parfois oublié, comme le montre l’exemple du Ballet national de Marseille. 

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Le cas du Ballet National de Marseille

La situation tourmentée qui a été celle du Ballet national de Marseille mérite d’attirer l’attention. En effet, après le départ en 1998 de son directeur et chorégraphe attitré Roland Petit, puis en 2004 de sa remplaçante Marie-Claude Pietragalla, la compagnie s’est à deux reprises trouvée privée de « répertoire », c'est-à-dire que le nouvel administrateur n’avait plus, juridiquement, la possibilité de faire représenter des œuvres qui avaient été créées à l’origine pour la compagnie. Les départs des deux chorégraphes ont eu lieu ddans mauvaises conditions, à la suite de contentieux (changement d’adresse fiscale pour R. Petit, grève des danseurs pour M-C Pietragalla).
Dès lors, ils ont tous deux décidé de priver leurs anciennes compagnies des ballets dont ils étaient, sans aucun doute, les auteurs. 
Le problème réside dans le fait qu’un ballet « national » a pour mission définie par le ministère de la Culture  de « créer  et faire vivre » un répertoire contemporain. Or, une structure qui risque de perdre ses ballets à chaque départ de chorégraphe ne peut guère assurer cette mission.
                                                                                                                                                         

Comment une troupe dite « nationale » peut-elle se trouver, comme cela a été le cas pour le Ballet de Marseille, privée de son répertoire ? Y a-t-il contradiction entre la notion « répertoire » telle qu’elle continue à être utilisée en danse et ce que permet le droit ? Le droit permet-il la création d’un répertoire ?

Le « répertoire », une notion propre au monde de la danse

Certes, la notion de répertoire existe aussi dans le monde de la musique ou du théâtre, mais elle désigne alors plus souvent le « grand répertoire » classique, pour lesquels ne peuvent guère ne se posent que rarement des problèmes relatifs à des droits patrimoniaux, ou même moraux (on voit rarement une association  assigner en justice un metteur en scène novateur au motif qu’il porte atteinte à l’intégrité de l’œuvre).
Seule peut-être la Comédie française continue à fonctionner comme une compagnie de théâtre «  de répertoire », à la manière des compagnies de danse, c’est-à-dire par une politique de constitution d’un ensemble d’œuvres qu’elle est à même de représenter.
Cette notion est très importante dans le cadre de la danse, puisqu’elle est très liée à celle de compagnie qui, pour vivre en tant que telle, doit constituer un répertoire (tandis que, par exemple, dans le domaine du théâtre, on a de moins en mois de troupes fixes).

 Une compagnie de danse a plusieurs façons d’enrichir son répertoire : elle  peut s’associer à un chorégraphe afin qu’il vienne pour elle monter un nouveau ballet, on aura alors une « création pour la compagnie *****. » Il peut aussi s’agir d’une œuvre déjà existante que le chorégraphe vient (re)monter  avec la compagnie en question. Il peut s’agir également, plus rarement, d’une œuvre d’un chorégraphe disparu que la compagnie décide de reconstituer, auquel cas elle fait appel à un spécialiste de l’époque ou du chorégraphe disparu.

Le répertoire, une notion juridique ?

 Or, juridiquement, il faut, pour représenter une œuvre, établir un contrat de représentation entre le producteur ou diffuseur de cette œuvre et son auteur. Selon l’article L 132-18 du CPI, « le contrat de représentation est celui par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite oeuvre à des conditions qu'ils déterminent. ». L’article L132-19 précise : « Le contrat de représentation est conclu pour une durée limitée ou pour un nombre déterminé de communications au public. »
    Cependant, la notion de répertoire est prévue par le droit, puisque l’article L 132-18 introduit également la qualification de « contrat général de représentation », défini comme un contrat par lequel un organisme professionnel d'auteurs confère à un entrepreneur de spectacles la faculté de représenter, pendant la durée du contrat, les oeuvres actuelles ou futures, constituant le répertoire dudit organisme aux conditions déterminées par l'auteur ou ses ayants droit. »
    Cette définition n’est pas sans poser de problème au droit, car elle introduit de nouveau une exception : « Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, il peut être dérogé aux dispositions de l'article L. 131-1. » Ce dernier article est en effet un principe d’ordre général, qui énonce que  « la cession globale des oeuvres futures est nulle. »
Pour faire entrer la notion de « répertoire » dans le cadre juridique, on doit donc faire une exception à un principe.

Mais le droit permet bien la création d’un répertoire. Pour que celui-ci demeure, il faut convenir d’une durée assez longue, proche de la durée des droits patrimoniaux, qui garantit la stabilité des droits de représentation indispensable à la notion de répertoire.
Néanmoins, le droit ne permet pas la constitution d’un répertoire exclusif, sauf bien sûr dans le cas d’une entente avec le chorégraphe qui dans ce cas ne cède les droits de représentation des œuvres qu’il a créées à aucune autre compagnie.

La transmission d’une œuvre, une pratique éloignée du CPI

Dans le cas du Ballet National de Marseille, il n’existait pas de contrat entre l’association et Roland Petit : très étonnamment, aucun contrat de représentation n’avait été conclu.  Le problème n’a donc pas tenu à une insuffisance juridique mais à une faute des administrateur qui ont négligé ce « détail », tant il leur semblait évident que les ballets créés par le directeur de la troupe pouvaient être représentés par cette troupe.

Cette négligence peut tenir à deux facteurs :

-Une raison  d’ordre « institutionnel » : le ballet national de Marseille, malgré son appellation, est une association de droit privé, déclarée selon la loi de 1901. Or, la loi prévoit un régime dérogatoire pour les structures de droits public (commande d’Etat) qui s’applique, par exemple, au Ballet de l’Opéra de Paris (qui est un EPA). Ces structures ont la possibilité de déroger au droit commun de la propriété intellectuelle car on considère que les oeuvres ont été établies dans le cadre d’une mission de service public. Il a donc pu y avoir confusion.

- Une raison d’ordre sociologique ou technique, liée à la nature «  chorégraphique » de l’œuvre et du travail fourni : quand en effet on acquiert par contrat le droit de représentation d’une œuvre théâtrale ou chorégraphique, cette œuvre est fixée sur un support : une partition, un texte. Dans le cas d’un chorégraphe, il n’y a généralement pas pour lui de création possible sans danseurs ni pour la compagnie de répétitions et donc de représentations possibles sans l’aide du chorégraphe : même dans le cas où l’œuvre a été notée ou précédemment  représentée et enregistrée, il est difficile, d’un point de vue technique,  de la (re)créer sans l’appui du chorégraphe.
 Il n’y a donc pas acquisition  par une troupe d’un bien presque matériel qu’elle s’approprie comme bon lui semble, une fois le droit de représentation négocié, mais travail suivi et répété avec le chorégraphe qui occupe de fait une double fonction d’auteur ( auteur de l’œuvre originale ) et de metteur en scène : certes il existe aujourd’hui des auteurs de théâtre ui sont aussi metteurs en scène, mais la chorégraphique correspond à la situation où  une troupe de théâtre acquérrait des droits de représentation non seulement sur  le texte d’un auteur contemporain, mais également sur sa mise en scène.
Cette façon de travailler peut expliquer que les choses se passent de façon moins « formelle » car la troupe ne peut pas être totalement indépendante du créateur. Dans le cas où le chorégraphe est assigné à une troupe, dont il a personnellement la direction, on peut concevoir qu’il y ait un oubli de son indépendance en tant qu’auteur et de son droit  exclusif sur ses œuvres si la représentation n’en a pas été cédée.

Pour une compagnie de danse, « faire entrer une œuvre au répertoire » signifie avant tout s’assurer le concours d’un chorégraphe qui permettra concrètement, par son aide et sa présence, de monter le ballet. C’est pourquoi on entend souvent qu’un chorégraphe a « donné », « offert » ou « apporté » son œuvre à une compagnie.
Juridiquement, la constitution un répertoire correspond à des critères précis : cession du droit de représentation pour une durée limitée, même s’il elle peut être longue, ou cession globale, ou encore réponse à un objectif relevant d’une mission publique.

Bien sûr, il ne s’agit là que d’hypothèses, l’essentiel étant de montrer qu’il peut y avoir un décalage entre ce qui est prévu par le droit et la pratique réelle, même à un haut niveau.
De plus,  cette notion de transmission qui nécessite un travail « dans l’instant » opposé à la fixation sur un support introduit un autre problème, celui de l’interprétation de l’œuvre, cette fois non plus seulement dans sa création, mais dans sa représentation. 

La suite ici




mercredi 1 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (III)

 Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement: l’auteur et ses interprètes

Si certains metteurs en scène de théâtre sont réticents à se définir comme auteurs uniques de leur mise en scène, arguant du dialogue entre auteur et interprète (ainsi qu’avec d’autre auxiliaires de création)  qui est le ferment de la création au fur et à mesure de l’œuvre, la danse rend  est peut-être un domaine où cette convention est encore plus  problématique.

Fixation et notation du mouvement

Juridiquement, l’article L 112 2° du CPI énonce une  condition de fixation nécessaire à la protection de l’œuvre chorégraphique. Or, cette précision déroge au principe du droit, énoncé par l’article L 111 1° du CPI, selon lequel a protection d’une œuvre n’est pas soumise à à sa fixation (la fixation ne peut être exigée qu’à titre de preuve). En vertu de ce principe, une œuvre orale non fixée peut être protégée, même si la preuve de la contrefaçon sera difficile à produire.
    Mais pour le cas des œuvres chorégraphiques, la preuve par simple témoignage ne semble pas recevable : il faut une fixation, soit par écrit (notations chorégraphiques), soit par enregistrement. Ces deux moyens de « fixer » l’œuvre soulèvent des questions.
    En effet, s’il existe des systèmes de notation chorégraphique (notation Laban etc.), la question  même de savoir s’il est artistiquement pertinent de noter le mouvement est débattue entre les chorégraphes : la notation est-elle un simple aide-mémoire nécessaire à la réactivation de l’oeuvre, ou bien constitue-t-elle l’œuvre proprement  dite ? Pour certains, l’œuvre chorégraphique ne peut se transmettre que de maître à élève, elle n’existe que dans son interprétation. Force est de constater que le danseur ne travaille que très rarement sur une chorégraphie notée, comme le ferait un auteur sur un texte de théâtre ou un musicien sur une partition : il a besoin de la présence de quelqu’un qui connaisse la chorégraphie, soit parce qu’il en est l’auteur, soit parce qu’il l’a lui-même apprise : ainsi, pour reconstituer un ballet ancien perdu (faute de transmission au sein d’une compagnie), un chorégraphe pourra s’inspirer des documents anciens, archives, témoignages, mais s’efforcera également de trouver une personne susceptible d’avoir appris en son temps la chorégraphie d’un professeur qui l’avait lui-même apprise d’un professeur qui était l’élève du chorégraphe de l’œuvre d’origine….
On voit que le doit, dans sa condition de fixation, n’entre pas dans ce champ artistique.

Pour  la fixation par enregistrement se trouve également posé le problème de la différence entre l’œuvre et son interprétation : en effet, comment établir une distinction juridique entre les deux ? Comment définir le rapport auteur /interprète ? Aux deux sont reconnus des droits moraux,  respectivement par l’article L.121-1 (« L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. »)  et par l’ article L. 212-2. du CPI (« L'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation.) Dans les deux cas, ce droit est « inaliénable et imprescriptible est attaché à la personne.
Il est transmissible aux ses héritiers. Dans bien des cas où la chorégraphie n’est pas notée, l’interprétation étant la seule preuve de l’œuvre chorégraphique, il peut devenir délicat  de séparer ce qui relève de l’œuvre et de son interprétation.
    Du point de vue du droit, on peut établir un parallèle entre cette condition de fixation qui semble nécessaire à ce que naisse une protection juridique de l’œuvre chorégraphique, et celle nécessaire à la naissance des droits voisins de l’interprètes. Ceux –ci en effet ne naissent qu’à partir du moment où il y a fixation sur un support  de la prestation : l’artiste devient  alors artiste interprète et titulaire de droits voisins du droit d’auteur. C’est la ré exploitation d’une prestation artistique qui génère un droit voisin.
   

Les apports respectifs du chorégraphe et de l’interprète

Ainsi, le problème dans le rapport auteur/interprète peut provenir de ce que de plus en plus, dans le travail chorégraphique, chorégraphie et interprétation se mêlent. En danse classique, le problème ne se pose pas car l’interprète est avant tout un exécutant (ce qui ne l’empêche pas d’avoir un travail artistique approfondi). Mais beaucoup de chorégraphes contemporains travaillent, au stade de l’élaboration de la chorégraphie, avec une « matière » personnellement apportée par le danseur.

Notamment, beaucoup font appel à l’improvisation : dans ce cas, faut-il conférer à celui qui improvise la qualité de co-auteur en plus de son statut d’interprète ?

Beaucoup d’artistes du monde chorégraphiques se définissent comme « chorégraphes-interprètes », travaillent en improvisant, seuls, et présentent des œuvres résultant d’une improvisation au public : on peut dès lors considérer leur improvisation comme une œuvre à partir du moment où elle est enregistrée. Il n’y a pas d’obstacle à  ce que ces danseurs peuvent se voir conférer la qualité d’auteur.
L’artiste qui improvise sous la houlette, les conseils, les indications d’un autre, ne verrait pas, quand à lui, son interprétation reconnue comme œuvre ?  Parfois, certains praticiens de la danse définissent le travail avec un chorégraphe comme un travail à partir d’improvisations communes. L’improvisation ne peut elle pas être considérée comme une véritable œuvre ? 


                                                                                                                                 

La relation auteur/interprète : points de vues de chorégraphes 

Karine Saporta, chorégraphe, directrice du Centre Chorégraphique National  de Caen : « Au début de mon travail avec des danseurs, je faisais appel à ce mot, devenu très galvaudé, répandu, qui est le mot improvisation (…). J’ai commencé à avoir des doutes sur ce concept et sur ce mot quand j’ai vu que changeant d’interprète, il y avait une permanence du style, de l’écriture, de l’aspect et de la teneur des spectacles. A priori, je laisse un champ très libre aux danseurs, mais changeant d’équipe, le travail ne change pas. Si les danseurs étaient effectivement des auteurs, ce phénomène ne se produirait pas. Si on regarde tous les chorégraphes qui utilisent des accouchements complexes de la matière, proche de l’improvisation (Pina Bausch et d’autres), on se rend compte du même phénomène, le style reste. »

Daniel Larrieu, chorégraphe-interprète, actuel administrateur délégué à la danse au Conseil d’administration de la SACD à Paris: « C’est une question de choix. Il y a des chorégraphes qui choisissent de partager leurs droits d’auteur non seulement avec leurs interprètes, mais aussi avec leur éclairagiste, un scénographe, un plasticien... Toutes les répartitions sont possibles, il faut simplement à chaque fois réfléchir aux implications qu’elles sous-tendent, trouver un accord entre les parties sur la répartition concrète des droits perçus et générer un contrat. »

 Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète: « Étant, aujourd’hui, davantage dans l’improvisation (ou dans la création d’œuvres chorégraphiques qui utilisent l’improvisation), je suis assez éloignée de ce rapport chorégraphe/interprète et préfère interagir: me nourrir de la richesse des autres et réciproquement. Il me paraîtrait dès lors impensable de ne pas reconnaître aux interprètes leur part de création.»

Susan Buirge, chorégraphe-interprète, directrice artistique de la Fondation Royaumont, Centre de recherche et de composition chorégraphiques: « A mon sens, même si les improvisations créées par les interprètes d’une pièce interviennent dans sa construction, le chorégraphe reste pleinement l’auteur de cette pièce: la pensée, la vision de l’œuvre viennent de lui. »

Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète : « Si un interprète vient me demander de partager avec lui les droits d’auteur, je crois que je n’aurais pas de problème avec ça, mais tout dépendra de la nature du projet et de son implication réelle dans le projet. (...) D’un autre côté, on peut se demander aussi où cela s’arrête? Quand un spectacle est présenté, le public interprète ce qu’il voit, donc lui aussi quelque part crée sa réalité du spectacle, en est quelque part l’auteur. Donc, on va partager avec le public aussi? Je plaisante... »

Thomas Hauert, chorégraphe-interprète au sein du collectif ZOO : «  Les interprètes avec qui je travaille ne sont pas simplement des interprètes, mais ils sont aussi créateurs, parce qu’ils participent réellement par leurs imput à l’élaboration de la pièce. Je trouve dès lors important qu’ils soient également reconnus comme créateurs en matière de droits d’auteur. »

Pour l’instant, il n’y a pas à proprement parler de problème juridique, dans le sens où le droit va clairement dans le sens d’une claire répartition des rôles, même lorsque le travail de l’interprète se confond, en pratique et dans l’élaboration du projet, avec celui de l’auteur.
L’arrangement semble se faire à l’amiable, selon les compagnies et leurs politiques propres. Mais on peut envisager que la question se pose un jour  en justice : un interprète pourrait demander à  être reconnu comme co-auteur et à se voir reconnaître des droits d’auteur en plus de ses droits voisions d’interprète.
                                                                                                                                                                

 Véronique Doisneau de Jérôme Bel

Le chorégraphe Jérôme Bel, invité à l’Opéra de Paris, crée une œuvre chorégraphique d’un genre particulier : il s’agit du monologue d’une danseuse de la troupe, Véronique Doisneau, élaboré conjointement par le chorégraphe et la danseuse à partir d’éléments biographiques très personnels, non transposables à un autre interprète. : en effet, dans le monologue d’une vingtaine de minutes, la danseuse raconte son parcours, évoque sa façon d’envisager la danse, ses ballets préférés etc. J. Bel explique avoir voulu pratiquer « l’entomologie » d’une danseuse de ballet. Ainis que l’exprime le critique Laurent Goumarre , dans cette œuvre, « le discours sur le statut d'auteur s'est déplacé sur celui d'interprète, jusqu'à opérer une superposition des deux: auteur et interprète ne font qu'un seul «titre», un discours et un programme chorégraphique révolutionnaire impensable dans l'économie des ballets classiques. »
Ainsi, le critère  d’originalité de l’œuvre ne réside pas dans les apports de l’interprète que dans la forme qui leur est donnée par le chorégraphe. Véronique Doisneau n’a donc pas le statut d’auteur de l’œuvre. Par ailleurs, comme l’Opéra de Paris a la vocation de créer un répertoire, s’est immédiatement posée la question de la reprise future de l’œuvre, y compris dans le cas où la danseuse ne serait plus dans la compagnie (elle a lors de la création du ballet bientôt quarante ans, âge de la retraite à l’Opéra de Paris).
Après discussion, il a été convenu par contrat avec l’Opéra qu’une reprise par l’Opéra avec un(e) autre danseur/euse est possible, mais ne peut s’effectuer qu’avec non seulement l’accord mais aussi le concours de J.Bel.
Le titre de l’oeuvre, éponyme, changera avec le nom du/de la nouvel(le) interprète : ainsi, si l’œuvre est recrée avec une danseuse appelée Marie Durand, elle s’intitulera  Marie Durand et son contenu changera. Mais juridiquement, ce sera toujours la même œuvre, celle du chorégraphe J. Bel.  

Le cas de Véronique Doisneau est une illustration de la complexité de la relation auteur /interprète : mais il introduit également la question du devenir et de l’évolution de l’œuvre chorégraphique à travers ses représentations.

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mardi 31 janvier 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (II)

La création  d’une œuvre chorégraphique :  le rapport du chorégraphe aux autres auteurs

La création d’une œuvre chorégraphique met en relation le chorégraphe avec plusieurs autres auteurs ou « auxiliaires de création », dont le rôle est défini soit par le droit d’auteur soit par le droit voisin.  Quels sont les cadres juridiques de leurs différents rapports ?

Le ballet, œuvre composite, œuvre de collaboration ?

Pour ce qui est du rapport des auteurs entre eux, le droit épouse dans ses définitions les pratiques en matière chorégraphique : il fournit en effet un cadre tout à fait adapté à ce type d’œuvre. 
L’œuvre chorégraphique peut en effet rarement se concevoir comme se suffisant à elle-même : elle nécessite souvent l’intervention d’une pluralité d’auteurs. Elle utilise en effet traditionnellement une musique, des costumes et des décors, ainsi qu’un support littéraire (le livret ou l’argument). Plus moderne, elle peut éventuellement se passer de musique (« ballet dans le silence ») mais également faire appel à d’autres intervenants (vidéastes etc.…)

  Le terme d’œuvre chorégraphique peut  dans ce cas poser un problème de définition : en effet, l’œuvre chorégraphique au sens juridique se limite à la chorégraphie stricto sensu, mais comme dans un ballet elle est généralement  considérée comme l’œuvre principale, on peut avoir tendance dans la pratique à  appeler « œuvre chorégraphique » l’ensemble du ballet.

Un  ballet au sens large  suppose  donc la réunion de plusieurs auteurs. Il peut être selon les cas une œuvre composite ou une œuvre de collaboration.

Juridiquement, une œuvre de collaboration se définit comme « une oeuvre à la collaboration de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».


                                                                                                                                                                  
« Le Tricorne », une œuvre de collaboration

« Le Tricorne » est un ballet dont la chorégraphie est de Léonide Massine, le livret de Martinez Sierra, et la musique de Manuel de Falla. Il a été  défini comme œuvre de collaboration à la suite d’un litige qui opposait L. Massine au Théâtre de Nice, qui avait repris le ballet, sans toutefois conserver sa chorégraphie. Il a été  jugé que le ballet,  « né d’une volonté commune animée par une inspiration du chorégraphe, du compositeur et du librettiste », et  « résultant d’une collaboration étroite entre auteurs  » est bien une œuvre de collaboration, dont on ne pouvait tout d’abord envisager l’exploitation sans accord des trois auteurs et dont ensuite une exploitation séparée portait atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
                                                                                                                                                                    


On voit qu’à travers l’affaire du « Tricorne », la définition d’une œuvre de collaboration  pu être affinée par la jurisprudence qui retient en fait généralement plusieurs critères cumulatifs pour qu’il y ait oeuvre de collaboration. On doit retrouver l’empreinte de la personnalité de tous les coauteurs dans l’oeuvre. De plus, il faut un concert préalable à l’élaboration préalable de l’œuvre et une inspiration commune  pendant la durée de la création de l’œuvre.
L’œuvre de collaboration n’exclut pas qu’un des auteurs ait un rôle plus important que les autres. Dans un ballet, le chorégraphe est logiquement celui qui a le rôle le plus important.  En conséquence, l’accord de tous les coauteurs est nécessaire pour exploiter l’œuvre, même si on peut exploiter séparément ces contributions, sauf si cette exploitation est interdite par contrat, à condition que les contributions soient exploitables séparément et que l’exploitation séparée ne nuise pas à l’intégrité de l’oeuvre commune.

Un ballet peut être également une œuvre composite, qu’il s’agisse d’une juxtaposition (d’une chorégraphie sur une musique préexistante) ou d’une adaptation (œuvre littéraire, conte, poème ou roman,  adaptée pour le ballet). L’œuvre préexistante peut être ancienne et donc dans le domaine public, ou  relativement récente et toujours protégée par les droits patrimoniaux. Dans les deux cas, il faudra toujours se préoccuper du respect du droit moral, qui est imprescriptible.

Comment rémunérer les auteurs ?

La répartition de la rémunération des auteurs, donc de leurs droits patrimoniaux, se pose de façon différente selon la nature de l’œuvre chorégraphique. 

Dans le cas d’une œuvre de collaboration,  le partage des droits sur l’œuvre, généralement proportionnelle à l’intervention de chaque auteur,  doit être fixé  par contrat. Ces pourcentages de rémunération  sont négociés de gré à gré entre les différents intervenants sur l’oeuvre. Les auteurs doivent parvenir à un accord pour que la que la société de répartition se charge de répartir les droits. Dans le cas par exemple d’une musique originale, composée spécifiquement pour la chorégraphie, la SACD interviendra pour effectuer la répartition.

Dans le cas d’une œuvre composite, il doit y avoir (si l’œuvre préexistante n’est pas dans le domaine public) rémunération de l’auteur. Dans le cas par exemple d’une musique préexistante, c’est la SACEM  qui interviendra pour la perception des droits.

On voit donc que l’œuvre chorégraphique, parce qu’intégrée dans un ballet, fait intervenir plusieurs auteurs : elle ne se suffit pas à elle-même. Mais cette absence d’autosuffisance est également problématique dans la rapport qu’elle introduit, du  point de vue de sa création, entre l’auteur et  l’interprète : en effet, elle n’a de pleine réalisation que dans son interprétation. Dès lors, n’y a-t-il pas le risque d’une confusion des rôles entre l’auteur et l’interprète ?

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